La ligne directrice de cet exposé – comme aussi celle de mon ouvrage « La sexualité et sa signification humaine » (1) dont cet exposé condense le contenu tout en l’explicitant et le prolongeant sur certains points – est de situer l’éthique sexuelle objet d’une si virulente contestation aujourd’hui, dans ce qui me semble être sa véritable perspective. Celle – ci ne saurait être selon moi la perspective légaliste qui me commande encore trop souvent, ne serait-ce que d’une manière obscure et par là même plus insidieuse, les comportements humains dans ce domaine, des plus conformistes (vécus comme une aveugle soumission à la Loi) aux plus « libérés » en apparence (vécus comme une révolte contre la Loi, d’autant plus violente que l’on sent, au fond de soi, encore prisonnier de celle-ci). Cette perspective légaliste me semble inadmissible d’un double point de vue, humain et chrétien, les deux points de vue étant d’ailleurs, à mon avis, indissociables, la vocation chrétienne me paraissait être l’appel à une réalisation intégrale de l’homme, à l’image de Jésus, seul Homme total. Elle est inadmissible d’un point de vue humain, car elle relève beaucoup plus à la dépendance instinctive et angoissée de l’enfant que de l’engagement lucide et responsable de l’adulte. D’un point de vue chrétien aussi, car le Christ nous a libérés de l’esclavage de la Loi, instaurant « la liberté des enfants de Dieu » et faisant des règles de l’éthique, non un code étouffant érigé en absolu, mais un ensemble de panneaux indicateurs jalonnant le chemin de l’accomplissement plénier de l’homme dans la filiation divine : «car le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat » (Marc 2, 27). D’ailleurs cette perspective légaliste, si peu conforme à l’idéal de maturité humaine et chrétienne, est aujourd’hui de plus en plus récusée par nos contemporains, les jeunes surtout, et l’on risque, si l’on veut s’y cramponner a tout prix, de voir s’effondrer avec elle les valeurs authentiques qu’elle est censée sauvegarder mais que, en fait, elle dessert, défigure et trahit.
La seule perspective qui, tout en satisfaisant à l’authenticité humaine et chrétienne, me semble avoir des chances d’avoir l’audience de nos contemporains, est une perspective existentielle, celle de l’épanouissement et de l’accomplissement de l’homme, celle de la plénitude de la vie, cette vie que l’homme moderne cherche si fiévreusement sans trop souvent savoir où la trouver : « Je suis venu, a dit le Christ, pour qu’ils aient la Vie et l’aient en abondance » (Jean 10, 10). Mais pour articuler l’éthique sexuelle à une telle perceptive, il est nécessaire d’être attentif au vécu même de la sexualité, à sa place dans l’existence humaine aux buts que plus ou moins obscurément l’homme poursuit à travers elle, à son histoire toujours plus ou moins dramatique, dans la vie individuelle et collective.
[ Plus ]