Selon la foi, la femme doit-elle se soumettre?
21 Et parce que vous révérez le Christ, vous vous soumettrez les uns aux autres,
22 vous, les femmes, en particulier, chacune à son mari, et cela par égard pour le Seigneur.
23 Le mari, en effet, est le chef de sa femme comme le Christ est le chef, la tête de l’Église qui est son corps et dont il est le Sauveur.
24 Mais comme l’Église se soumet au Christ, de même la femme se soumet en toute circonstance à son mari. (Éphésiens 5,21-24)
Comment ce dernier verset peut-il être compatible avec la nécessité de la libération de la femme et de son égalité avec l’homme?
Introduction: Les deux aspects de la parole de Dieu
La parole de Dieu comporte deux aspects: un aspect divin et un autre culturel/contextuel. Les prophètes et les apôtres parlent la langue de l’époque, expriment la révélation divine selon son contexte culturel. C’est pourquoi nous ne pouvons nullement voir dans leurs paroles uniquement des paroles divines pures et absolues ou des paroles seulement culturelles, mais la conjonction des deux, dans une vive imbrication où Dieu respecte l´état concret de l´homme et l´illumine de l´intérieur, sans l´annuler ou le court-circuiter.
1- L’aspect culturel dans les paroles de Saint Paul
a- Elles reflètent la vision culturelle juive
D’une part, les paroles de St Paul citées ci-dessus reflètent la vision de la culture juive selon laquelle la femme est un être mineur, qui passe de la tutelle du père à celle du mari. Selon cette vision, la femme est un être inférieur, ce qui transparait dans la prière même du juif qui remercie Dieu de n’être né ni païen ni femme.
b- Elles reflètent la vision culturelle patriarcale en général
Les paroles de St Paul reflètent plus largement la culture patriarcale en général, culture qui a dominé le monde ancien. Les grecs, par exemple, croyaient que la punition des hommes injustes et lâches était de transmigrer en femmes après leur mort. Notons que cette culture patriarcale, et l’infériorité qu’elle attache à la femme, est toujours courante dans une large mesure, malgré tout ce que l’on dit concernant la libération de la femme et malgré ce qui a vraiment été réalisé dans ce domaine.
c- Réaction à la “féminisation” de la culture romaine
D’autre part, cette attitude de St. Paul constitue une réaction à la “féminisation” de la culture romaine qui prévalait alors. En d’autres termes, elle constituait une réaction au rôle que la femme jouait (que, bien entendu, elle n’avait pas choisi de son plein gré) dans la débauche qui était répandue dans cette culture. C’est comme si l’apôtre insistait sur la soumission de la femme en guise de réaction défensive « préventive ».
d- Observation de St Jean Chrysostome sur cet aspect culturel des paroles de St. Paul
Cet aspect, qui est de nos jours devenu évident, grâce au progrès des sciences humaines, n’échappa pas à Jean Chrysostome qui l’a découvert dès la fin du IVᵉ siècle.
● En effet, malgré la sévérité de ses propos au sujet de la femme, il témoigne que St Paul était en partie tributaire de la culture de son époque et que ses paroles s’entendaient en relation avec un certain ordre culturel.
● Cet ermite rigoureux est même parvenu à dire que la femme – telle qu’il l’a connue à Antioche et à Constantinople – précède souvent l’homme dans sa piété et dans sa lutte chrétienne. C’est pourquoi il est possible, dans la lutte évangélique, de dépasser l’ordre dont parle l’apôtre, de telle sorte que la femme sera la tête de l’homme si elle est la plus pieuse.
2- L’aspect divin dans les paroles de St Paul
Quant à l’aspect divin dans les paroles de St Paul, il se manifeste non en dépassant l’ordre culturel d’une façon franche et directe, mais en le pénétrant afin de lui donner un nouveau sens, une nouvelle saveur, qui le détourne effectivement des concepts de la domination de l’homme et de l’infériorité de la femme.
Ce détour que St Paul a introduit dans l’ordre culturel par la force du renouveau évangélique se manifeste dans les prototypes auxquels il s’est référé pour déterminer la position de l’homme et de la femme l’un par rapport à l’autre. L’on peut remarquer cela dans l’emploi du terme de comparaison « comme » qui, si menu qu’il soit, inverse le contenu des concepts culturels à première vue maintenus par St Paul.
a- La présidence de l’homme se transforme en une image de présidence du Christ
En effet, l’homme est la tête de la femme comme le Christ est la tête de l’Église. Sa présidence ne saurait donc s’exercer en rectitude que si elle constitue une image de celle du Christ. Mais quelle est la nature de la présidence de Jésus Christ ? C’est la présidence de l’amour :
«Vous, maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Église » (Éphésiens 5, 25) : la présidence de la tête vivifie le corps en prenant soin de la bonne dynamique de toutes ses fonctions vitales et de leur adaptation aux exigences de l’environnement; de même la présidence du Christ consiste à servir la vie dans tous les membres de son corps :
« Moi, je suis venu pour donner la vie aux brebis, une vie surabondante » (Jean 10, 10). Et puisque cette présidence est un service, elle ne connaît donc ni arrogance, ni hégémonie, ni domination. Pour cette raison, elle s’est manifestée par le lavage des pieds des disciples (ce qui était la tâche du serviteur) :
« Eh bien, moi, au milieu de vous, je suis comme le serviteur » (Luc 22 : 27)
Ce lavage a été un préambule et un signe du don total de soi que Jésus etait résolu à faire au profit des humains:
« Je donne ma vie pour mes brebis » (Jean 10 :15)
La présidence de l’homme sur la femme, selon l’angle où l’envisage St Paul, consiste donc, comme toute présidence inspirée par l’Évangile, à servir la vie du subordonné jusqu’au sacrifice total si nécessaire :
« Vous, maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Église » (Éphésiens 5, 25)
Elle représente donc un renversement radical du concept courant de la présidence, qui est ordonné au profit de la domination du fort sur le faible :
« Vous savez ce qui se passe dans les nations : les chefs politiques dominent sur leurs peuples et les grands personnages font peser sur eux leur autorité. Qu’il n’en soit pas ainsi parmi vous. Au contraire : si quelqu’un veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur, si quelqu’un veut être le premier parmi vous, qu’il soit votre esclave. Car le fils de l’homme n’est pas venu pour se faire servir, mais pour servir lui-même et donner sa vie en rançon pour beaucoup. » (Mathieu 20, 24-28)
Le grand et le premier, du point de vue de Jésus Christ, n’est donc pas celui qui exploite son pouvoir pour se glorifier lui-même et réaliser ses fins, mais celui qui comprend son pouvoir et le vit comme une prise en charge de la vie des autres et de son développement. Tel est le « pouvoir » du Christ dont il est parlé dans l’Évangile : « J’ai reçu les pleins pouvoirs dans le ciel et sur la terre » (Matthieu 28, 18). En effet, comme l’évêque Georges Khodr l’a montré, l’expression grecque utilisée dans le texte original de cette phrase, et qui est « exousia », ne signifie pas hégémonie, mais force, puissance. Elle ne signifie pas une domination sur l’univers, mais une puissance qui libère la vie de ce qui l’entrave.
b- La soumission de la femme se transforme en une image de la soumission de l’Église
En contrepartie, il est demandé aux femmes de se soumettre à leurs conjoints comme l’Église se soumet au Christ. Une telle soumission n’implique aucune trace de servitude ou d’infériorité, car c’est une soumission volontaire qui résulte de l’amour qui s’est dépouillé jusqu’à la Croix :
« Nul n’a d’amour plus grand que celui qui se dessaisit de sa vie pour ceux qu’il aime… Je ne vous appelle plus serviteurs… Je vous appelle amis… » (Jean 15, 13 et 15)
3- Comment comprendre aujourd’hui l’invitation de St Paul ?
Après avoir constaté la tension entre la nouveauté du souffle divin qui men l’apôtre d’une part, et la vétusté des cadres culturels dans lesquels il a grandi et vécu d’autre part, nous ne pouvons plus ignorer cette tension ni comprendre les paroles de St Paul sur un plan littéral, comme si nous mettions sur le même plan la nouveauté et la vétusté, le souffle divin et les modèles culturels qui l’ont simultanément incarné et entravé. Et nous devons aujourd’hui essayer de traduire l’appel de St Paul en fonction du nouveau cadre culturel, duquel a émergé – grâce à de multiples facteurs historique parmi lesquels, naturellement, l’action du levain évangélique dans l’histoire humaine – un mouvement, toujours limité dans ses réalisations, qui revendique l’égalité entre l’homme et la femme. Et nous, chrétiens, voyons dans cette égalité une traduction, dans les domaines politique, social et économique, de la déclaration de St Paul :
« Il n’y a donc plus de différence entre les Juifs et les non-Juifs, entre les esclaves et les hommes libres, entre les hommes et les femmes. Unis à Jésus-Christ, vous êtes tous un » (Galates 3, 28).
Dans ce nouveau cadre, d’où est exclue une répartition rigide des rôles entre l’homme et la femme, nous pouvons lire, dans les paroles de St Paul quant à la relation entre le mari et la femme, une invitation à une direction mutuelle et à une soumission mutuelle.
a- Une invitation à une gouvernance mutuelle
La gouvernance, évangéliquement, est liée à l’amour. Qui va loin dans l’amour devient naturellement un meneur car il ouvre aux autres le chemin de la vie :
« Après le repas, Jésus s’adressa à Simon Pierre :
- Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ne le font ceux-ci ?
- Oui, Seigneur, répondit-il, tu connais mon amour pour toi.
Jésus lui dit :
- Prends soin de mes agneaux » (Jean 21, 15).
Il est alors naturel que les deux conjoints prennent la gouvernance à tour de rôle, chacun la prenant au moment ou dans le domaine où il devance son conjoint dans l’amour. Et Jean Chrysostome nous a appris que l’homme et la femme, dans le mariage chrétien, « apprennent l’un de l’autre et se stimulent l’un l’autre… »
b- Une invitation à une soumission mutuelle
A cette gouvernance mutuelle correspond une obéissance mutuelle que St Paul exprime lorsqu’il recommande aux croyants :
« Et par respect pour le Christ, vous vous soumettrez les uns aux autres » (Éphésiens 5, 21). C’est une recommandation que l’Église répète dans les rituels de la semaine sainte, quand elle nous invite à « nous soumettre les uns aux autres et nous laver les pieds les uns aux autres ». Et l’obéissance – comme le montre son étymologie provenant du latin ob- audire ou encore, en arabe, l’équivalence entre: « obéir à quelqu’un » et « entendre ses paroles » – est le fait qu’une personne se tourne vers une autre (ob) dans le but d’entendre (audire) ce qu’elle dit et de l’écouter. C’est aussi le fait qu’une personne se prépare de tout son être à recevoir les paroles de l’autre, de telle sorte que ces paroles trouvent leur écho dans son cœur (qui est, au sens profond, le noyau de l’être ), de sorte que le cœur délivre une réponse dont la source est l’être tout entier. Il n’y a pas de vrai amour entre les époux sans cette obéissance mutuelle, qui signifie que chacun veille à une entente profonde avec l’autre.
Le prêtre et théologien orthodoxe français contemporain André BORRÉLY dit : « Aimer c’est obéir, c’est-à-dire écouter, se mettre dans une attitude d’écoute envers l’être aimé ».
Cette position, comme le montre l’auteur cité, devrait être prise comme règle dans les diverses occasions qui se présentent durant la vie du couple marié, que ce soit un projet de voyage, un choix professionnel, l’achat d’une voiture, la vente de biens immobiliers, une situation en lien avec l’éducation… Ce sont toutes des opportunités, dit l’auteur, pour que je sorte de ma solitude, pour que je tienne compte de l’autre, de ses attitudes, de ses opinions et de ses sentiments, pour que je respecte sa différence et que je la prenne en considération. Si chacun des deux époux adopte cette attitude d’écoute, un vrai dialogue (et non un dialogue de sourds) aura lieu entre eux et un champ de compréhension s’ouvrira à travers la différence et les tensions qu’elle engendre. C’est alors que chacun des deux conjoints sentira qu’il a changé grâce à l’autre et qu’aucune des deux volontés ne s’impose à la seconde, mais que le dialogue entre elles engendre une nouvelle réalité, à l’émergence de laquelle elles participent ensemble.
Extrait de: Costi Bendaly: La Femme: situation et perspectives (en arabe), 2em édition, Editions An Nour, Beyrouth, 2000, pp 101-105, traduction française de Ghina Daaboul, avec le concours de l’auteur..