Hommage à l’œuvre de Costi Bendaly
FLSH salle polyvalente - Bâtiment C
Le jeudi 20 janvier à 18 h 30
De la psychanalyse à la spiritualité
Dialogue avec Freud
Titre impressionnant: peut-on dialoguer avec Freud bien connu pour son intolérance à toute contestation et qui lui a valu tant de ruptures avec ses premiers disciples ou collègues? Le dialogue outre - tombe à partir de l’œuvre est peut-être plus facile que le dialogue vif.
Mais qui sont donc les protagonistes de ce dialogue?
Sigmund Freud, fils des Lumières, délibérément, animé de positivisme scientifique, qui ne veut adhérer qu’à une vision du monde scientifique , une Weltanschaung, récusant toute aliénation de l’esprit de l’être humain dans les croyances occultes. Et pourtant, Freud sait pertinemment bien, puisqu’il le déclare, que des ennemis possibles de la psychanalyse comme discipline scientifique, la philosophie, l’art et la religion, c’est bien la religion qu’il faut craindre, parce qu’elle est certainement plus tenace et promet à l’homme autre chose que ce que peut promettre la philosophie ou l’art, il écrit:«Des trois puissances ( la philosophie, l’art et la religion) qui peuvent contester à la science son territoire, seule la religion est un ennemi sérieux» (Nouvelles conférences p.214). La préoccupation religieuse, toutefois, accompagnera Freud jusqu’à ses derniers moments. Il parlera bien de sentiment océanique, qui habite l’homme, mais n’ira pas jusqu’au bout de sa réflexion dans ce domaine.
Costi Bendaly, auteur de cette inestimable réflexion, soutenue comme thèse de Doctorat d‘Etat en 1981 et enfin parue , remaniée, en trois volumes très denses, publiés successivement en 2007, 2008 et 2009 sous trois titres différents: Freudisme et religion, Désir et Foi et Les approches symboliques en psychologie religieuse, de même que deux autres ouvrages en langue française, l’un directement lié à la thèse dont il constituait initialement un chapitre, intitulé Ombres et splendeurs de l’esprit d’enfance, publié en 2007 et un autre ouvrage sorti initialement en France en 1983 et republié au Liban en 2007 également, sous le titre Jeûne et oralité, Costi Benaly donc est un chrétien profondément croyant, fils fidèle de l’Orthodoxie d’Orient, dans le droit chemin de l’Église d’Antioche, pétri de foi active et soucieux de transmettre aux jeunes et aux adultes, le sens profond du message évangélique, éclairé par la psychologie contemporaine et les enseignements libérateurs de certains aspects de la psychanalyse. Jamais psychologie et psychanalyse ne l’ont aveuglé, jamais les écrits freudiens prêchant l’athéisme ne l’ont négativement impressionné. Quand Freud déclare superbement:«Alors nous pouvons dire sans regret, avec un de nos compagnons d’incroyance (Henri Heine): nous laissons le ciel aux oiseaux et aux anges», dans l’Avenir d’une illusion, Costi Bendaly peut davantage retenirce que ce même Freud dit dans Les Nouvelles conférences: «Quand on se targue d’être sceptique, il convient parfois de douter de son propre scepticisme». Mais Costi Bendaly, qui a très tôt dans sa vie fréquenté l’œuvre de Sigmund Freud, rend hommage à son génie, avoue avoir appris beaucoup de choses à sa fréquentation et va jusqu’à se dire son ami. Cela rassure en ces moments où certains écrits essaient de ternir l’image de ce génie dont l’œuvre a introduit dans l’ensemble du corpus des sciences humaines et de la pensée en général, un apport décisif désormais incontournable.
Là où les deux interlocuteurs se rejoignent, mais dans des orientations différentes, c’est dans un objectif final commun: la libération de l’être humain et le fait de lui donner la possibilité de devenir, comme on le dit volontiers aujourd’hui, penseur de sa vie, acteur autonome de son existence. Mais l’objectif de cette libération n’est pas identique: dans un cas c’est l’homme pour l’homme dans une perspective nietzschéenne, immanente, dans l’autre c’est la libération de l’homme pour son accès à Dieu, à l’ordre de la grâce divine, donc à la transcendance.
En réalité, le sacré est une très forte aspiration de l’homme. Dans un récent ouvrage, publié chez Albin Michel en 2009, divers auteurs dont des psychanalystes, parodiant le titre d’un film de Buñuel, donnent à leur ouvrage le titre suivant: Le sacré, cet obscur objet du désir? Pourquoi cela? Parce que l’homme dans sa fragilité originaire a besoin de recourir, à inventer, disent certains, une force transcendante qui le sécurise, qui le protège. En réalité, le point de départ de la pensée de Freud réside justement dans le concept qui court à travers toute son œuvre, celui de la Hilflosigkeit, c’est-à-dire la détresse originaire, ou encore la détresse – désaide. Je centrerai donc mon propos sur les points suivants: d’abord ce problème de la fragilité première de l’homme, ensuite ce que Freud a appelé le roman historique se rapportant à Moïse et le monothéisme et ses répercussions sur sa conception du divin, enfin le problème de la transcendance et du rapport de Dieu à l’homme, largement et magistralement traité par Costi Bendaly dans sa thèse, objet actuel des trois volumes dans la collection «Foi et sciences humaines», parus sous le titre global de Dialogue avec Freud.
1 - Détresse et fragilité originelles:
L’être humain est l’une des rares créatures qui naît inachevée et qui porte en elle, durant de longs mois de la vie extra-utérine, des séquelles de sa vie embryonnaire. Cela se traduit par cette notion de néoténie, de Hilflosigkeit en allemand, helpless situation en anglais, et que l’on a traduit en français par détresse originelle et désaide, les deux à la fois détresse – désaide. Cette situation signe la grande faiblesse du bébé humain face à la vie et à ses exigences de présence et de soutien, ceux de la mère en premier lieu ou comme dit Winnicott, de son environnement premier. Freud écrit à ce sujet en 1926 dans Inhibition, symptôme et angoisse:«Parmi les facteurs qui participent à la causation des névroses… il faut retenir l’état de désaide et de dépendance longuement prolongée du petit enfant d’homme. L’existence intra-utérine de l’homme apparaît, face à celle de la plupart des animaux relativement raccourcie; l’enfant d’homme est jeté dans le monde plus inachevé qu’eux».
Quelques année plus tard, en 1927 puis en 1929, dans l’Avenir d’une illusion et dans Malaise dans la civilisation ou la culture, Freud en arrive à la conclusion suivante:«Dès lors que l’homme en cours de croissance, écrit-il, remarque qu’il est voué à rester toujours un enfant, qu’il ne peut se passer de protection de puissances étrangères, il confère à celles-ci les traits de la figure paternelle, il se crée des dieux dont il a peur, qu’il cherche à gagner et auxquels il transfère néanmoins le soin de sa protection».
C’est donc là que prend sa source la création ou la projection de l’idée de Dieu par l’homme, celui que nous célébrons dans notre liturgie chrétienne, à qui nous chantons de tout cœur et très fort:« A toi le règne, la puissance et la gloire» Li anna laka Al Moulk, wal quwat wal majd, c’est-à-dire tout ce que nous n’avons pas dans notre détresse et dans notre faiblesse originelles. Ainsi on peut dire, dans la perspective freudienne, que tout le champ du divin, tout le champ du sacré, constitue ce qu’il faut appeler un remède à la détresse-désaide de l’homme. On voit donc bien la trajectoire tracée par Freud, à savoir la faiblesse humaine créatrice de l’idée de dieu, et que contestera brillamment, tout au long de son œuvre, Costi Bendaly pour qui, justement, cette trajectoire est inversée: c’est Dieu qui vient à l’homme pour le soustraire au péché, à la souffrance, à toutes sortes de faiblesses, à la mort et pour le promettre au divin. Dieu, comme aime le dire Mgr Khodr, ici présent (je l’ai entendu le dire de mes propres oreilles, il y a longtemps et cela m’est resté) Dieu est venu mordre l’homme pour le tirer vers Lui.
2 – Moïse et le monothéisme:
Dans sa réflexion sur l’homme Moïse, le dernier ouvrage de Freud, censé faire part de la maturité de sa pensée, de son parcours, le père de la psychanalyse continue à poursuivre ce que j’ai appelé ailleurs, dans les Actes d’un congrès paru en 2008, Les angoisses religieuses de Sigmund Freud et nous laisse ce livre L’homme Moïse et le monothéisme, comme un testament dans lequel il avoue clairement que le problème religieux est très important et que s’il avait encore du temps devant lui il lui aurait consacré certainement encore plus d’intérêt. Freud se définit en effet comme un juif infidèle, ou comme un juif athée. Mais il reconnaît d’emblée sa judéité et travaille à l’affiner, selon certains auteurs contemporains. On peut même aller jusqu’à dire que Freud nourrit une véritable passion pour la religion, pour l’expression de la vérité qu’elle recèle. Dès le départ, Freud constate que l’opposition entre la vérité du monde, décryptée par le regard scientifique, et la vérité inscrite dans les Écritures des monothéistes et du christianisme en particulier, est insurmontable. «Nous croyons nous aussi, écrit Freud, que la solution des gens pieux contient la vérité, non pas cependant la vérité matérielle mais la vérité historique». Autour de lui, des disciples proches tels que le pasteur Oskar Pfister, Theodor Reik et Lou Andreas-Salomé, comme aussi le dissident Erich Fromm, portent un intérêt très vif à la religion et à la spiritualité. Pour Freud également se traduit là une exigence spirituelle, comme le soutient mon ami Jean-Michel Hirt, c’est pourquoi il considère que la religion monothéiste a signifié un progrès décisif pour l’esprit humain en privilégiant l’adoration d’un dieu irreprésentable et invisible assurant ainsi le passage du sensible au spirituel. A ce passage, si considérable pour l’espèce humaine, fait écho l’invention concomitante de la paternité, c’est-à-dire le primat de la langue dans le rapport à l’enfant, puisque le père devient celui qui nomme l’enfant, qui le reconnaît comme sien par un acte de parole. Le héros de cet événement fondamental c’est Moïse celui par qui la chair exprime le verbe, celui par qui le visible témoigne de l’invisible. Et l’homme Moïse représente sans nul doute l’identification à la fois la plus étrange et la plus décisive de la vie de Freud. Alors que pour nous, nous savons bien que le Verbe s’est fait chair.
Plus tard, poursuivant sa requête, Freud tout en se félicitant de la défaite de la conception religieuse du monde au profit de la conception scientifique, il s’en inquiète. Dans une culture, pense-t-il, où la science et la technique dominent, il ne perçoit plus ce qui va permettre le domptage des pulsions, auquel naguère la religion était préposée par son empire sur le redoutable couple de la religiosité et du pulsionnel. C’était la religion qui mettait l’humain en position d’entendre et de soutenir les commandements de la Loi et les interdits qu’elle postule. Et quand on déclare la mort de Dieu, tous les débordements sanguinaires qu’on a connus au siècle dernier, tout ce qui s’accomplit comme meurtres et massacres collectifs au nom de Dieu aujourd’hui encore, deviennent légitimes. Freud aborde ce sujet majeur en 1927 dans l’Avenir d’une illusion et prolonge ensuite ses réflexions en 1929 dans Malaise dans la civilisation.
Quelques temps plus tard Freud, se préoccupe du territoire du suprasensible qui selon lui ne doit plus être réservé aux seules spéculations de la mystique religieuse. Il le manifeste nettement dans une lettre à Groddeck, père de la psychosomatique, en lui disant ceci:«Bon, tout individu intelligent a bien une limite où il se met à devenir mystique, là où commence son être le plus personnel». Là le mot est lâché: qu’est-ce que l’être le plus personnel, de quoi est-il fait, à quoi aspire-t-il sinon à ce que le philosophe Ferdinand Alquié a appelé Le désir d’éternité: nul ne veut mourir, tout le monde veut laisser des traces. Pourquoi Freud admire-t-il dans une lettre à Pfister du 9 juin 1920, St Paul:«Paul qui était, dans toute l’acception du terme, un être religieux». Mais Freud ne va pas plus loin dans la définition de l’être religieux qu’il semble admirer chez Saint Paul. Face aux interrogations et aux mises en garde du pasteur Pfister, Freud se définit comme dépourvu de sentiment religieux, comme aussi dans sa correspondance avec Romain Rolland, où il se dit tout à fait ignorant de ce que pourrait être le sentiment océanique, évoqué par certains, et avoue ne l’avoir jamais ressenti. Et pourtant, l’inquiétude religieuse reste là jusqu’au dernier souffle et trace déjà en pointillé le chemin allant de la psychanalyse à la spiritualité.
3 - Le dialogue avec Freud dans l’œuvre de Costi Bendaly:
De toutes les œuvres de psychologie religieuse ou d’approches psychanalytiques de la religion qu’il m’est arrivé de consulter durant ma carrière de psychologue clinicien et de psychanalyste, qui a aujourd’hui un demi-siècle, je dois avouer que la thèse de mon ami Costi Bendaly est de loin le travail le plus riche, le plus érudit, le plus fouillé, le plus nuancé donc le plus complet. Cette thèse fut saluée comme ayant été un moment clé et un apport décisif, incontournable dans la perspective psycho-philosophique de son auteur par notre Maître commun le regretté Pr Léon Husson et d’autres notoriétés tels que Olivier Clément, l’archimandrite Élias Morcos, pour qui j’ai la plus haute estime, et beaucoup d’autres personnalités. Bendaly va plus loin que Marc Oraison, que les Pères Baiernaert et Pohier, que Zilboorg, que Antoine Vergotte, Françoise Dolto, le Jésuite Denis Vasse et beaucoup d’autres auteurs. Je n’ai pas la prétention de vous sensibiliser, en quelques minutes, à cette œuvre magistrale de 1139 pages (les trois volumes réunis). Mais je rendrai hommage à l’auteur, et je regrette beaucoup qu’il n’ait pu être ici présent, en cinq axes de réflexion:
- La simplicité et la modestie du chercheur
- La rigueur et la probité intellectuelles de l’auteur
- La globalité et l’exhaustivité de son approche
- La pertinence de sa démonstration
- L’ouverture transcendantale et spirituelle qu’il propose
Ce ne sont pas évidemment les seuls axes par lesquels on peut aborder l’ensemble des écrits de Costi Bendaly. Ma présentation limitée est une simple option pédagogique.
1 – La simplicité de l’auteur et sa profonde modestie vont en droite ligne dans le sens de son engagement religieux et de son désir de transparence. Compte tenu des différentes dimensions de sa thèse, qui concerne autant la psychologie, la psychanalyse, la philosophie et les problèmes d’éducation donc la pédagogie, Costi Bendaly avoue sa maîtrise des faits et des phénomènes psychologiques, déclare ses connaissances limitées dans le domaine philosophique et prend appui pour sa réflexion pédagogique, moins sur ses connaissances théoriques que sur son expérience de grand éducateur ayant accompagné de multiples générations sur le chemin des acquisitions intellectuelles et sur la voie de la formation des consciences. Mais cet aveu s’accompagne d’un profond souci de connaître les auteurs auxquels il se réfère et de lire des écrits qui leur ont été consacrés. Costi Bendaly n’utilise pas des connaissances de seconde main. Il dira la même chose de la psychanalyse et regrettera le fait de n’avoir pu bénéficier de l’expérience d’une thérapie personnelle. Mais qu’impporte, Costi Bendaly avoue que la lecture et la méditation de l’œuvre de Freud l’ont profondément remué et lui ont permis de réviser sa vision de la vie et les fondements de sa foi; choses que même nos analysants ne réussissent pas à faire ou qu’ils font très peu.
2 – La rigueur et la probité intellectuelles: ces deux qualité majeures qui font partie intégrante de l’esprit scientifique, dominent dans la recherche de notre auteur et qui le font aller vers les sources directes et les critiques les plus objectives, donnant à chacun sa place et sa part de vérité. Je voudrais en donner pour preuve absolue, le souci de Costi, lors de la publication des ouvrages au Liban, longtemps après la soutenance de sa thèse en 1981, de consulter une majorité d’écrits parus après la date de sa soutenance, donc entre 1983 et 2005 et d’en rendre compte dans des notes additionnelles, à la fois notionnelles et critiques, à la fin de chaque chapitre. Ces notes sont de précieux ajouts qui réactualisent les écrits premiers et placent le lecteur devant une pensée vivante, toujours aussi fine, et aussi pertinente. L’honnêteté intellectuelle de notre auteur lui commande également d’être constamment dans le respect total de la pensée de l’autre, même en cas de désaccord: jamais de sarcasme et pas d’ironie, mais un essai de compréhension totale du cheminement de l’auteur critiqué et de respect pour sa démarche. Je dois dire qu’une telle attitude devient de nos jours très rare, même dans les milieux scientifiques.
3 – La globalité et l’exhaustivité de son approche.
Notre auteur aurait pu se contenter d’une approche psychologique en s’appuyant sur sa spécialité de base. Mais il savait très bien qu’en donnant pour titre à son travail: Images parentales et attitudes religieuses, titre pour lequel je le salue encore une fois, justement parce qu’il parle d’attitudes et non de problèmes de foi, Bendaly ira parler d’abord des images maternelles, des images paternelles et de leur impact au cours de la première enfance. Ce très vaste programme devait donc entraîner le chercheur à aborder tout autant le problème philosophique, je dirai également théologique et le volet pédagogique aux côtés de l’approche psychologique et psychanalytique. Ce travail laborieux Costi Bendaly l’a entrepris durant une quinzaine d’années, dans le calme de Tripoli marine (Al Mina) tout en assurant un engagement professionnel très chargé. Nous sommes loin, très loin de ces thèses de doctorat préparées au lance-pierre et soutenues, hélas parfois je peux le dire en connaissance de cause, par des membres du jury qui ne les ont pas lues.
Cette volonté d’exhaustivité a été pour Bendly un impératif émanant de sa conscience morale et de son sens aigu de la recherche de la vérité. Qu’il soit donc remercié pour cette inestimable exemplarité.
4 – J’en viens au quatrième axe de mon hommage à l’auteur des Images parentales et attitudes religieuses, celui de la pertinence de sa démonstration. Je disais plus haut que le travail de mon ami Bendaly est l’œuvre la plus complète jamais lue par moi en psychologie religieuse. Maintenant je dis la plus convaincante parce que la plus profonde. Il ne veut point démontrer l’impasse dans laquelle peut se trouver la psychanalyse face au problème de la foi et de la croyance en général. Il prouve, au contraire, l’insuffisance de la prise en compte de tout l’humain, de la profondeur de ses désirs, et dévoile le manque de souffle de la psychanalyse face à la destinée de l’être humain, dont on a trace dans la civilisation depuis les âges les plus reculés. C’est bien Descartes qui a dit:«Il n’y a point d’âme noble, si attachée soit-elle aux objets des sens, qui ne s’en détache quelques fois pour souhaiter quelque autre plus grand bien».La démonstration de Costi Bendaly va dans ce sens, vers le destin de l’homme seul, unifié, et comme dit un mystique persan du XIIème siècle, cet homme qui est invité à interpréter les Écritures comme si elles n’avaient été révélées que pour son propre cas et pour son propre nom. Son lien avec Dieu le fait passer, comme le souligne Henry Corbin, de la solitude à la dualitude.
5 – L’ouverture transcendantale et spirituelle qu’il propose.
L’objectif final de notre auteur, en soutenant sa thèse, après quinze ans de labeur en 1981, à l’âge de 51 ans, n’était pas uniquement l’obtention d’un titre universitaire amplement mérité; c’était plutôt de livrer à toute personne intéressée et à tout groupe susceptible de réfléchir, le fruit d’une pensée créatrice et le témoignage d’un cheminement personnel. C’est comme s’il nous invitait à nous diriger vers la réalisation de notre être le plus authentique, c’est comme s’il nous disait:«Va avec tout ton être, toutes tes énergies, tes ressources psychologiques, conscientes et inconscientes, va vers ce qui t’accomplit, vers l’au-delà de toi-même, l’au-delà de la mort». Il rejoint ce mot fabuleux d’Albert Camus quand il déclare:«L’homme est la seule créature qui n’accepte pas d’être ce qu’elle est». La lecture attentive de l’œuvre de Bendaly nous indique cette voie et nous y mène tout autant.
Je conclurai mon propos en revenant à la psychanalyse et en évoquant un dessin de Gustav Klimt de 1898 intitulé Nuda Veritas: une femme nue tient un miroir (psychè) au haut duquel il avait transcrit un mot du philosophe allemand Schefer: Warheit ist feuer: «Vérité est feu et dire la vérité signifie lumière et flamme». Telle reste pour nous la spécificité de la psychanalyse et sa singularité absolue: faire découvrir au sujet sa propre vérité, établir en lui la lumière et nourrir de sa flamme, toute son existence. Notre Évangile ne dit pas autre chose, il dit mieux:«La vérité vous rendra libres». Celui qui nous l’affirme, en nous remplissant de sa Lumière vivifiante, nous dit – et nous savons bien qu’Il tient parole – en nous transmettant cet appel en trois V, pas les V de la victoire, mais du courage, de l’adhésion et de la liberté: «Je suis la Voie, la Vérité, la Vie». Et la lumière est au bout du chemin.